Entretien avec Maxime Libert, ingénieur du son et consultant en acoustique

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Entretien avec Maxime Libert, ingénieur du son

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Qui es-tu ?

Je m’appelle Maxime Libert, j’ai 37 ans.

Je suis originaire d’une commune près de Valenciennes, dans le Nord.

Je suis le fondateur de l’entreprise « Le son du Tertre », une structure qui regroupe post-production sonore et études acoustiques.

Logo de l'entreprise de posT-production

Pourquoi Le son du Tertre ?

Je vis sur un tertre, d’où le nom de ma commune « Lavilletertre », qui est un village juché sur une colline. On y est au calme !

Quel est ton parcours ?

Maxime Libert, ingénieur du son et consultant en acoustique

Etant originaire de Valenciennes, j’ai fait des études dans le Nord et en Belgique.

J’ai commencé par un IUP en électronique dans le Nord. C’était une formation généraliste. Aujourd’hui, ça me sert toujours car les connaissances acquises durant cette formation me permettent de bien comprendre les systèmes mis en jeu et le matériel que j’installe (enceintes, convertisseurs, …).

Puis, j’ai complété par une licence en audiovisuel option son à Valenciennes. Ça a été un changement de cap, tout comme un pari sur l’avenir.

Enfin, j’ai perfectionné mes acquis à l’école SAE à Bruxelles avec un cursus d’ingénieur du son.

A la fin de mon cursus, je me suis retrouvé sur le marché de l’emploi en 2007. Je voulais travailler sur le marché de la musique qui me passionnait. Mais, ce marché était en pleine évolution. Il y avait beaucoup de studios qui fermaient et de plus en plus de home studio qui se créaient. C’était compliqué de se faire une place dans ce milieu pour le jeune débutant que j’étais.

J’ai donc pris le statut d’intermittent du spectacle et j’ai touché à pas mal de trucs. J’ai notamment fait de la sonorisation évènementielle, de l’enregistrement et du mixage musical, de la création de bandes sonores, et même, de la lumière ! C’était la bohème totale.

En 2008, j’ai atterri complètement par hasard dans le domaine du son à l’image. J’ai travaillé pour Canal+ pendant les JO de Pékin. J’ai donc découvert le monde de la télévision et la vie Parisienne.

C’était un CDD qui a duré le temps des JO. Cependant, comme je m’entendais bien avec le responsable de maintenance, j’ai eu la chance de trouver rapidement un autre contrat dans une boite de post-production en tant que monteur son / mixeur. J’ai notamment pu travailler sur des documentaires, magazines et de l’autopromotion (bande-annonce, spot, …).

C’était une vraie chance car il y a très peu de CDI dans le domaine du son. Le prestataire en question était Technicolor.

Une fois bien à l’aise dans mon poste, j’ai créé mon entreprise « Le son du Tertre », en 2013, en parallèle de mon emploi. J’avais beaucoup de congés en CDI, c’est ce qui m’a permis de pouvoir créer cette deuxième activité.

Dans un premier temps, je l’ai fait par passion, je voulais mettre un pied dans le monde de la fiction et du cinéma. C’était beaucoup « d’artisanal ». J’ai travaillé avec des jeunes réalisateurs, des cinéastes, …

Mon activité progressait bien avec le bouche à oreille et le côté plus routinier de mon CDI m’a amené à démissionner en 2018 pour me consacrer pleinement à mon entreprise.

Aujourd’hui, je travaille encore avec certains contacts de mes débuts. Il y a pas mal de ces jeunes réalisateurs qui ont évolué. Ils ont, pour certains, des projets ambitieux actuellement, quand tu livres ton premier long-métrage qui sort au cinéma, c’est quelque chose ! D’une certaine manière, je grandis en même temps que les gens que j’accompagne. On progresse ensemble.

En quoi consiste ton travail ? As-tu une journée type ?

Pour répondre à ta deuxième question, je n’ai pas de journée type. Je peux passer 3 heures en studio, avoir une réunion au téléphone, me former en ligne sur de nouveaux outils, puis travailler pour un projet acoustique dans la même journée. C’était un des buts recherchés en me lançant à mon compte.

Concernant le travail, je peux le diviser en 2 parties :

  1. La post-production
  2. L’acoustique

Post-production

Au niveau du travail, je fais de la post-production chez moi sur tout type de contenus, principalement documentaires et fictions, c’est vraiment ma compétence première. Je fais également du mixage pour la télévision. Je réalise, entre autres, les versions françaises de certains programmes. Je travaille notamment pour certaines séries Netflix, Amazon ou de la BBC. J’ai la chance de faire beaucoup de documentaires « premiums ».

La pandémie a quelque peu modifié le rythme de travail. J’ai des périodes très intenses, puis des périodes très calmes. Ce n’est pas très linéaire comme charge de travail. Cela me convient très bien.

Concernant cette partie de mon travail, qui est sans doute la plus alimentaire, je vais avoir 2 types de prestations principales :

  • Du voice-over
  • Du doublage
Salle de post-production de Maxime Libert
Travail de post-production

Pour préciser, concernant le voice-over, c’est une technique où l’on parle au-dessus des gens. La voix originale n’est pas supprimée, elle est entendue en arrière-plan. Ça représente une énorme partie du contenu TV actuel.

A l’inverse, lors d’une prestation de doublage, le doubleur s’attribue le rôle qu’il double. La voix originale est donc absente. Il n’y a que la voix Française. C’est plus un travail « d’acteur ». On s’approprie le rôle.

Ce travail de post-production est un travail pointilleux. Il va porter sur le bon enregistrement, le nettoyage et calage des voix, la qualité et l’intégration du mix… C’est un exercice et une utilisation très particulière de nos outils.

Au niveau de l’organisation, on enregistre par rôle pour maximiser les déplacements des différents comédiens.

Concrètement, mon rôle, c’est que le son colle à l’image. On ne va pas avoir la même « reverb » sur un plan serré et un plan large, en fonction des lieux … Dès qu’il y a beaucoup de mouvements, d’effets et d’intervenants à l’image cela devient relativement technique.

Par exemple, j’ai déjà mis 1h pour mixer une séquence de 1 minute où il y avait beaucoup de mouvements. A l’inverse, quand les séquences sont classiques, par exemple un dialogue dans une “room” conventionnelle, un épisode d’une heure peut être mixé en 3 à 4 heures par un ingénieur du son confirmé.

C’est le genre de discipline où on ne finit jamais réellement d’apprendre. Les outils évoluent, les contenus aussi, on rencontre sans cesse de nouvelles têtes, l’expérience passe autant par la technique que par l’interaction avec les autres.

Pour ma part, je suis encore en phase d’apprentissage sur le doublage. À l’inverse du voice-over où je suis confirmé et rapide. Ce critère de rapidité devenant de plus en plus important dans notre petit monde où tout va vite.

L’acoustique

L’acoustique, c’est aussi beaucoup de boulot. Je dirais qu’il y a une bonne partie de mon travail qui concerne le contact et la relation avec le client afin de cadrer le projet.

Il y a, avant tout, un travail de mesures et d’analyse des résultats. Il y a donc une partie sur site et une autre sur informatique. Je vais notamment utiliser des outils comme Room EQ Wizard ou Studio Six Digital que je maîtrise très bien dorénavant.

Concernant les mesures, le but premier est d’optimiser le point d’écoute et le positionnement des enceintes avant toute forme d’optimisation mécanique.

J’ai également une partie plus « bureau » avec des livrables à fournir. Je réalise notamment un cahier des charges des problèmes à résoudre. Concrètement, je définis un temps de réverbération à atteindre, je fais en sorte que la réponse en fréquence soit bien linéaire et qu’il n’y a pas de « bosses » ou de « creux » à certains emplacements stratégiques du local. Mais évidemment, il y en a toujours !

Exemple de projet acoustique de Maxime Libert
Exemple de simulation acoustique

De même, je peux faire de la conception quand j’ai besoin de bass traps accordés, de mécanismes absorbants très importants ou, tout simplement, quand le client veut une véritable structure de studio professionnel. Cela peut être le cas sur certains projets. Il y a donc une partie de calculs mathématiques dans mon travail. En outre, je mets de plus en plus les pieds vers ce qui ressemble au travail du bâtiment, la demande croissante en isolation phonique m’y oblige également.

Sur d’autres projets, je sous-traite la fabrication du dispositif à installer à des professionnels de l’acoustique. J’ai donc des contacts privilégiés avec différents fabricants. J’ai aussi un travail de veille par rapport à ça.

Je dois également m’assurer du suivi de chantier. Je dois notamment suivre la fabrication et la pose des produits que j’ai conceptualisé en amont. Je travaille avec des artisans pour cette partie.

Avec qui travailles-tu ?

Ingénieur-son

Au sein de mon propre studio, j’ai mon petit vivier d’habitués cinéastes et réalisateurs. Je bosse aussi avec des petites chaînes culturelles régionales. Mais, hormis l’inévitable petite séance de relecture avec le réalisateur ou le producteur, c’est un exercice très solitaire !

Concernant le doublage / voice-over, je vais être en relation avec différents intervenants. Je n’ai pas de contact direct avec le client final. Je vais travailler avec un responsable de planning des studios, un chargé de production, un traducteur, un adaptateur, un directeur artistique (DA) et, naturellement, des comédiens. Je suis principalement en contact avec ces deux dernières fonctions, le DA supervise absolument tout tandis que moi je suis le référent et l’exécutant technique, c’est un tandem qui peut faire de belles amitiés.

Chaque fonction a un travail spécifique. Par exemple, pour la personne en charge de l’adaptation, son travail va être de donner du sens, en français, à des vannes originellement en anglais. Pour la série « South Park », c’est un travail fastidieux. En effet, c’est dur d’adapter la multitude de jeux de mots anglophones en français.

De même, sur cette activité, je vais diviser le travail pour :

  • Les documentaires, la TV et les séries
  • Le cinéma (aussi appelé 35 mm dans le milieu)

On a tendance à travailler très vite pour cette première catégorie par rapport au cinéma.

Acoustique

Je travaille principalement avec des particuliers. Je vais surtout travailler sur des projets de salle hi-fi, de home cinéma ou de studio d’enregistrement. Il m’est déjà arrivé de travailler avec des professionnels, notamment des open space, écoles de musique ou auditoriums mais ce n’est pas mon cœur de cible.

Mon idée, c’est de travailler avec des personnes aux budgets intermédiaires. Schématiquement, on va dire que :

  • D’un côté, il y a ceux qui vont ajouter quelques mousses basiques et se débrouiller par eux-mêmes en fouinant sur le net
  • D’un autre, ceux qui vont faire appel à des acousticiens chevronnés plus orientés vers le bâtiment qui ne vont intervenir que sur des projets à plusieurs milliers d’euros (voire dizaines de milliers)

Mon but, c’est donc de travailler avec des budgets « accessibles ».

Exemple de projet acoustique de Maxime Libert

Comment t’es-tu lancé dans l’acoustique ?

Pour commercer par le début, j’ai eu des cours d’acoustique à la FAC qui me plaisaient bien. J’ai toujours aimé l’acoustique et j’ai fait une veille, de mon propre chef, sur ce domaine. J’ai lu énormément de contenus sur le sujet. J’ai notamment lu pas mal de bouquins anglais de référence. Je suis aussi resté à l’écoute des forums, même s’il y a parfois à boire et à manger sur ce type de source.

Par la suite, travaillant en tant qu’ingénieur du son, j’ai voulu en savoir davantage sur le sujet de l’acoustique. Le fait de travailler avec de nombreux studios a, en effet, renforcé mon attrait pour le sujet. J’ai donc effectué la formation « acoustique des salles et du bâtiment » du CNAM. J’avais une partie en présentielle et une autre à distance. C’était en 2015, et j’ai conçu l’acoustique de mon propre studio dans la foulée.

Puis, par hasard, on a fait appel à moi, cette année-là, en tant que consultant pour optimiser l’acoustique de studios de post-production.

De même, je connaissais bien Xavier Collet, une figure du milieu, qui m’a délégué un peu de projets au début. Nous collaborons d’ailleurs toujours ensemble aujourd’hui.

Je ne suis pas ingénieur acousticien, je n’ai par exemple pas le bagage scientifique nécessaire pour appliquer mon savoir dans l’automobile ou l’aéronautique, mais je suis consultant.

Aujourd’hui, tous mes projets se font par le bouche à oreille. Je n’ai même pas de support promotionnel. C’est presque devenu mon activité principale. Je réfléchis même à créer une entreprise dédiée à cette activité. Le but, c’est de développer cette branche dans les 2 prochaines années.

Quelle différence fais-tu entre le métier d’acousticien et d’ingénieur du son ?

Je dirais qu’il y a une notion de hiérarchie entre les deux.

Concrètement, on appelle l’acousticien pour que l’ingénieur du son ait une bonne écoute. L’ingénieur du son va lui travailler sur de la création sonore via cette même écoute optimisée.

D’une certaine manière, les 2 métiers sont liés sans l’être vraiment. L’un sert l’autre.

Pour preuve, c’est le fait d’être ingénieur du son qui m’a permis de comprendre les contraintes de l’acoustique.

Quelle est ta vision de l’acoustique ?

De mon point de vue, ça évolue dans le bon sens.

Il y a de plus en plus de produits acoustiques sur le marché. De plus en plus d’artisans s’y mettent. Je dirais qu’on commence à avoir « le choix des armes ».

Je dirais aussi qu’il faut faire attention. L’acoustique reste une science. On voit rapidement, aux courbes des fabricants, s’ils sont sérieux ou non. Un produit sérieux va être documenté, normé, … Je n’hésite pas à échanger avec le fabricant pour m’assurer de la fiabilité de ses produits.

Dans cette même idée, l’acoustique a un rapport étroit à la physique. Il ne faut pas faire de dissonance cognitive et ne pas avoir de méthode préconçue. Je n’ai aucun critère préétabli avant mon travail de mesures. Ce sont les mesures qui vont déterminer une solution et non l’inverse.

De même, concernant les forums, il s’y dit parfois un peu n’importe quoi. Notamment, dans le cadre d’un home studio, on peut parfois lire qu’il faut mettre des absorbeurs partout. Que le but est d’en mettre un maximum pour traiter les ondes stationnaires. Mais, en faisait cela, la pièce va sonner comme « morte ». Dans ce type d’environnement, la diffusion acoustique est très importante

Concernant la hi-fi, je pense que l’acoustique n’est pas toujours très bien comprise, y compris par les professionnels. Par exemple, une pointe de découplage ne va pas révolutionner l’acoustique de la pièce comme j’ai parfois pu le lire.

De même, quand elle n’est pas encore optimisée, à tarif équivalent, l’acoustique est à privilégier par rapport à l’achat d’un nouveau câble hors de prix. En hi-fi, il n’y a pas toujours cette logique-là qui est, à mon sens, dommageable… J’ai déjà croisé des systèmes à plusieurs dizaines de milliers d’euros qui s’exprimaient laborieusement dans un environnement à l’acoustique qui n’était absolument pas adaptée.

Qu’est-ce qui te passionne dans ton travail ?

C’est un métier passion. J’écoute de la musique et je regarde du cinéma depuis tout petit. J’ai aussi été un peu musicien (guitare, saxophone, …). Ça m’a permis de développer une écoute critique et on y prend goût.

J’adore vraiment mon métier. Pour moi, c’est un mélange de science, de fibre artistique et d’interactions sociales. J’ai une affinité naturelle avec ces différentes composantes.

Concernant les liens humains, ils sont très importants pour moi. J’ai beaucoup d’échanges dans mon travail, ce qui aurait été moins le cas si je n’avais fait que du mixage.

Concernant le côté artistique, j’ai un rapport au son orienté vers la post-production. J’adore créer un « beau » son. Je préfère ça à de l’adaptation d’un son réel pour le rendre le « mieux » possible comme sur un tournage par exemple. Je préfère ce côté création plutôt qu’adaptation à la réalité.

Enfin, je fais partie d’une génération qui aime bien changer de travail. Contrairement à nos parents qui ont pu faire toute leur carrière dans la même entreprise et/ou en exerçant le même métier, je pense que nous sommes une génération qui a davantage besoin d’explorer. A mon sens, c’est quelque chose de possible dans l’univers du son. Il y a beaucoup de métiers différents et c’est aussi un point important à mes yeux. Je sais que je peux évoluer et cela me plaît.

Un mot pour conclure ?

Côté business, niveau post-production j’ai fait un peu le tour techniquement mais j’y demeure très attaché et je ne me lasserai jamais de cet artisanat qui consiste à faire un joli documentaire par exemple. J’aimerais de plus en plus développer l’acoustique et le côté étude. J’aimerais notamment optimiser mes partenariats actuels et pousser la conception encore plus loin.

Enfin, tu m’as fait penser que j’aimerais bien reprendre le saxophone (rires). Il ne me reste plus qu’à trouver le temps.